LEGENDES Les trois ondines de Jupille


"Les Ondines", par Ettore Tito

LES TROIS ONDINES

(Jupille, Liège et Louvain.)


Marie de Ploennies

1848


Dans l'ancien temps, lorsque les hommes n'étaient pas encore aussi corrompus qu'aujourd'hui, ils avaient quelquefois des relations amicales avec des esprits bienfaisants qui leur étaient utiles dans diverses occasions. Pendant que des nains et des Kobolds travaillaient pour leur éviter les fatigues, des anges jouaient avec les enfants au berceau et l'enfant Jésus lui-même sautait des bras de sa mère au milieu des plus grands et leur vantait lu magnificence qui règne derrière cette porte d'azur à clous dorés et à serrure d'argent. Puis il cherchait avec eux les petites paillettes que l'arc-en-ciel, ce pont céleste, laisse échapper de ses deux extrémités en disparaissant aux yeux des mortels.
Chaque soir après les travaux champêtres, les paisibles habitants de Jupille (petit village situé près de Liége aux environs de la Meuse) dansaient innocemment sur la pelouse, et ces danses se prolongeaient souvent jusqu'au milieu de la nuit.
Un soir qu'ils dansaient comme d'habitude en chantant de joyeuses chansons, ils virent s'approcher  trois jeunes filles vêtues de blanc et portant des guirlandes de lys d'eau entremêlées dans leurs cheveux noirs et flottants. Des boutons de la même fleur ornaient leur sein virginal. Leur front luttait de blancheur avec le lys et la neige et une tendre rougeur couvrait leurs joues; en un mot, elles étaient si belles qu'on n'aurait pu trouver leurs égales dans toute la contrée.
Elles s'avancèrent gracieusement vers les danseurs et donnèrent volontiers la main aux plus beaux jeunes gens qui vinrent les inviter; bientôt elles s'élancèrent avec légèreté dans le tourbillon.
Après la danse elles se joignirent aux jeunes filles et chantèrent des chansons si belles que jamais on n'en avait entendu de semblables, et si tendres qu'elles allaient au cœur de ceux qui les écoutaient.
Cela dura jusque près de minuit; mais lorsque l'horloge eut sonné onze heures trois quarts, les jeunes inconnues se levèrent, saluèrent poliment les villageois et se retirèrent au plus vite.
Le soir suivant des louanges sur les grâces des trois aimables tilles volèrent de bouche en bouche et aucun villageois ne manqua à la danse, car tous ambitionnaient le honneur de danser avec les trois dames. Enfin on les vit venir des bords lointains de la Meuse; elles turent saluées par les acclamations de tous les danseurs et aussitôt les danses commencèrent. Parmi les villageois, l'un surtout avait jeté les yeux sur une des jeunes filles et il lui offrait le plus souvent qu'il pouvait la main pour la danse, et lorsqu'elle était engagée par d'antres, il lui donnait quelques fleurs champêtres qu'il avait rassemblées en bouquet, en un mot il avait pour elle des attentions particulières.
Lorsque forcée par la chaleur, la jeune fille ôta ses gants et les déposa sur son siége, le jeune homme s'y glissa doucement s'empara de ces gants et les pressant sur son cœur, il jura de ne plus les rendre à l'inconnue et de les garder comme gage d'amour.
On dansa avec tant d'ardeur qu'on ne s'aperçut pas de la fuite du temps; minuit sonna à l'horloge du clocher. Les trois jeunes filles coururent aussitôt, en poussant un cri de terreur, au banc sur lequel elles avaient déposé leurs gants. Une d'elles ne retrouvant plus les siens s'écria: „Où donc sont mes gants?" Personne ne put lui dire ce qu'ils étaient devenus, et les jeunes filles se retirèrent tout éplorées. Le villageois les suivit jusqu'aux bords de la Meuse. Là, elles s'élancèrent au milieu des ondes et disparurent à ses yeux.
Malgré la satisfaction qu'il éprouva à cette découverte, un triste pressentiment s'empara de lui, et le lendemain matin il courut comme poussé par une force invisible à l'endroit où les jeunes filles avaient disparu; les lys de la couronne de l'une d'elles surnageaient seulement et les boutons qui avaient orné son sein, flottaient entourés de sang à la surface de l'eau.
A cette vue le jeune villageois éprouva une douleur inexprimable. Vivre sans son ondine lui parut impossible. Il se précipita dans le fleuve et on ne le revit plus. Son cadavre ne fut pas même retrouvé.


AFFICHES "ART NOUVEAU" DE HENRI PRIVAT-LIVEMONT

.

.

.

.

.

.

.

.

.

.

.

.

.

.

.

.