Charles Magnette (1863-1937) |
LA FRANC-MAÇONNERIE BELGE
ET LES
LOGES ALLEMANDES
Appel du Sénateur Charles Magnette
Sérénissime Grand Maître du Grand Orient de Belgique
à la
Franc-Maçonnerie Allemande
à la
Franc-Maçonnerie Allemande
1914
(Début de la Première Guerre Mondiale)
Appel du T.°. C.°. F.°. Ch. Magnette,
Sérénissime
Grand-Maître du Grand Orient de Belgique
aux Maçons allemands.
27 septembre 1914.
Le F.°. Charles Magnette,
aux Grandes Loges d'Allemagne.
Très chers et très illustres Frères,
La guerre qui désole en ce moment l'Europe entière et
remplit d'angoisse le monde civilisé et les événements pénibles et terribles qui
en sont la suite inévitable, doivent remplir de douleur le coeur de tout Franc-Maçon.
Car si le Franc-Maçon a le devoir essentiel d'aimer et de défendre
sa patrie menacée, il doit en même temps regarder plus loin et plus haut, ne pas oublier qu'il
professe le culte de l'humanité et que l'idéal serait que, parmi les peuples
comme parmi les races, tous les hommes, ainsi que dans les Loges, fussent des
frères.
C'est dans ces sentiments que je convie nos Frères Allemands
à envisager la situation et à m'aider dans la tâche que je voudrais entreprendre
avec eux.
Assurément, la responsabilité de la guerre actuelle ne peut être
mise en question ni discutée : c'est un
problème que la Franc-Maçonnerie n'a pas qualité pour résoudre, ni même pour aborder,
et les Francs-Maçons des divers pays intéressés peuvent, dans la plus entière
sincérité, croire que le bon droit est du côté de leur patrie.
Mais ce sur quoi tous les Francs-Maçons, sans distinction, doivent
être et seront d'accord, c'est qu'il importe, pour l'honneur de l'humanité tout
entière, d'éviter le retour des horreurs que déplorent tous les hommes civilisés, et
ensuite, qu'il serait de la plus haute utilité de rechercher les circonstances
dans lesquelles elles ont été commises.
Pour atteindre ce double but, nulle institution n'est mieux qualifiée
que la Franc-Maçonnerie.
J'ai donc l'honneur de vous proposer d'abord d'adresser tant
aux populations civiles des pays belligérants qu'aux armées en campagne un
appel pressant et une invitation solennelle
à ne jamais se départir des règles de l'humanité, de celles du droit des gens
et du code de la guerre.
Je vous demanderai ensuite de vouloir bien constituer, d'accord avec moi, une commission d'enquête
qui parcourra les régions où s'est déroulé et où se poursuit la guerre, et qui,
en s'entourant de tous les renseignements utiles, dressera un rapport de ces
constatations. Cette commission se composerait de délégués de Grandes Loges
appartenant à des pays neutres, par exemple, un Frère Hollandais, un Suisse et
un Italien et naturellement il s'y trouverait un Maçon Allemand et un Maçon Belge.
Je suis convaincu qu'une pareille commission rencontrera, pour
l'accomplissement de sa mission, les concours très bienveillants des autorités
civiles et militaires de tous les pays engagés
dans ce regrettable conflit.
Je ne doute pas, très cher et illustre Frère, que vous n'appréciez
la pensée hautement et uniquement fraternelle et humaine qui me guide dans cette circonstance,
et j'aime à croire que vous voudrez bien soumettre promptement ma proposition au pouvoir
maçonnique compétent pour en délibérer et
me faire part de la décision qui sera prise.
Comptant fermement que cette décision sera favorable et vous
en remerciant d'avance, je vous prie, très cher et illustre Frère, d'agréer mes
salutations les plus distinguées et les plus fraternelles.
CH. MAGNETTE.
*
* *
Les Réponses Allemandes
Traduction de la lettre de la Grande Loge « L'Union »
Darmstadt, le 7 octobre 1914.
Au très honorable Grand-Maître
du Gr.°. Orient de Belgique.
Très honoré et très aimé Fr.°.
Votre lettre frat.°. du 27 septembre 1914 m'est parvenue
dans les premiers jours d'octobre par Francfort. Les vues que vous exprimez au
début de votre lettre font le plus grand honneur à votre coeur fraternel; je
les partage totalement. En ce qui regarde le but que vous poursuivez, je ne
puis me rallier à vous. Car où resta la Franc-Maçonnerie belge, française et
anglaise dans cette guerre qui nous a été si criminellement imposée? Nous ne
connaissons pas la position qu'elle a prise et ce qu'elle a fait pour l'éviter.
Et, en admettant qu'elle ait, de façon vraiment maçonnique, voulu empêcher
énergiquement la furie guerrière dans ces pays, qui, parmi les dirigeants sans
conscience de ses pays politiques, l'a entendue ou voulu entendre? A quoi
servirait dans ces circonstances un appel à la population des pays en guerre et
à leur armée? Les Messieurs politiciens et généraux feront ce à quoi ils se
croient autorisés par la nécessité d'airain.
Un appel à l'humanité, etc., de nos dirigeants politiques,
de nos généraux et de leurs soldats est superflu. Ce sont des Allemands et les
Allemands sont des hommes même dans le combat le plus violent. Et des frères
Allemands par un appel selon vos voeux, feraient à nos hommes en campagne et
aux groupes politiques responsables l'injure d'avoir douté de leur humanité ?
Non : jamais je ne consentirai à faire cela. Par-là, pour moi la commission
dont vous avez suggéré la création tombe de soi-même. J'ai la plus ferme confiance
dans nos armées et la conviction qu'elles mènent humainement la guerre
scélérate dirigée contre nous, et que nos organismes administratifs
rétablisssent humainement l'ordre dans les pays occupés. Après la guerre ce
sera le devoir et l'affaire de la maçonnerie d'éclairer les peuples dans notre
sens et de les remplir d'esprit maçonnique, plus que jamais, pour empêcher le
retour des temps aussi terribles et éviter que des êtres s'abaissent encore,
comme, à notre effroi, nous avons dû le voir et l'entendre au-delà de nos frontières,
de la part de notabilités et de leurs subordonnés.
Dévouons-nous entretemps partout aux oeuvres du véritable
amour humain et divin.
Je reste, appréciant pleinement vos bonnes intentions fraternelles,
etc.
WlLHELM SUSS.
*
* *
Traduction de la note de Bayreuth, 8 octobre
Le Fr.°. Magnette veut :
1. Parvenir à empêcher les atrocités et
2. Connaître et rechercher les circonstances dans lesquelles
ces atrocités ont été commises.
Ce problème, à son sens, serait à résoudre par un appel pressant
ou par invitation solennelle :
1. A la population cultivée des pays en guerre,
2. Aux armées en campagne qu'elles ne dérogent jamais aux règles
de l'humanité, du droit des gens et du code de la guerre.
Le Fr.°. Magnette
croit arriver à la solution pratique de ce problème par l'institution d'une commission
d'enquête, qui parcourra les régions où s'est déroulée et où se poursuit la
guerre et qui dressera rapport des constatations faites.
Telle est la portée de sa lettre.
Le voeu qui y est exprimé repose pleinement sur des vues et des
desseins maçonniques, mais la question se pose, si ces desseins peuvent être
réalisés maintenant, c'est-à-dire, s'ils peuvent être pratiquement mis à
exécution. A la solution actuelle de ce problème s'opposeront des courants
dangereux, car nous savons que les atrocités des ennemis de l'Est et de l'Ouest
sont à imputer aux ordres directs d'officiers de haut grade ou au travail
d'excitation de prêtres fanatiques. En conséquence je tiens pour impossible d'intervenir
à présent effectivement, sans compter qu'il n'est pas exclu que cette
commission pourrait être suspecte d'espionnage. Le Fr.°. Magnette croit qu'une pareille commission
rencontrerait le concours bienveillant des autorités civiles et militaires.
C'est une conviction forte contre laquelle se dresse le jugement né d'une réflexion
paisible. Pour le surplus, nous savons que nos troupes n'ont pas commis de
cruautés. Les mesures sévères et impitoyables qui durent parfois être prises
jusqu'à présent furent provoquées par la conduite de la population ennemie. Que
sont des cruautés en temps de guerre ? Sans doute par les mesures imposées, par
l'âpre nécessité, à nos troupes contre les francs-tireurs et leurs repaires ?
Des cruautés ont été commises par des Belges, des Français et des Russes,
lorsqu'ils estropièrent des blessés sans défense, les enterrèrent vivants,
lorsqu'ils assassinèrent sans raison des femmes et des enfants et incendièrent
des villages.
Des cruautés ont été commises par ces nations toutes
entières lorsqu'elles firent usage de balles dum-dum et employèrent traîtreusement
le drapeau blanc. Nous connaissons trop bien la discipline de nos soldats
allemands pour les croire capables de pareils actes. Malheureusement on les
accuse de ces cruautés : les nouvelles mensongères des journaux Anglais et
Français s'y emploient. La Reine des
Belges même, une princesse bavaroise, a accusé nos troupes d'atrocités et a
adressé une plainte au président de la République des Etats-Unis. Elle ne connaît
ces accusations que par les journaux en question, les rapports de notre
état-major et de nos journaux n'étant pas communiqués aux habitants de là-bas :
le mensonge reste exister et trouve finalement créance générale.... Que le Fr.°.
Magnette s'adresse aux blessés et aux prisonniers tombés aux mains des
Allemands et leur demande s'il y a des motifs de protester contre les cruautés
des Allemands. Les considérations de notre Fr.°. Belge reposent
incontestablement sur de pareils rapports mensongers des journaux Anglais et
Français, sans quoi il aurait en premier lieu à s'adresser aux Loges anglaises
et françaises pour exiger d'elles de répandre les règles de l'humanité. Si le
Fr.° Magnette pouvait imputer un seul cas de cruauté inutile ou
d'atrocité à nos guerriers allemands, nous serions obligés à un travail en
commun dans le sens maçonnique. En premier lieu, il y aurait à faire comprendre
au Fr.°. Magnette que ses vues sur les troupes allemandes et leur conduite,
pour autant qu'il s'agisse des règles de l'humanité, reposent sur des
informations erronées. Ce ne serait vraiment pas une tâche ingrate pour la
Loge, si de cette manière il y avait moyen de lutter contre les horripilantes
nouvelles mensongères de nos adversaires.
Malgré mon voeu le plus vif, le plus sincère, que nos
troupes puissent rester animées d'humanité et d'équité dans les pires situations
et prouver en pays ennemi que la culture allemande a jeté des racines saines
dans toutes les couches de notre peuple, je mets en garde contre la
recommandation à nos troupes dans les temps actuels de sensibilité et de bonté
de coeur. L'attitude et la conduite perfides de nos ennemis ne le méritent
vraiment pas.
KESSELRING.
Grande Loge Zur Sonne.
Bayreuth, 8 octobre 1914.
*
* *
Réponse du T.°. C.°. F.°. Magnette
Le Frère Charles Magnette,
Grand-Maître du Grand Orient de Belgique :
Aux Resp.°. Grandes Loges de l'Empire d'Allemagne.
Très chers et très illustres Frères,
La lettre que j'ai eu la faveur d'adresser sous la date du 27
septembre écoulé aux neuf Grandes Loges d'Allemagne, m'a valu deux réponses :
l'une de la Grande Loge de Darmstadt, l'autre de la Grande Loge de Bayreuth. La
première revêt la forme d'une lettre fraternelle, la seconde constitue une simple
note objective. Toutes deux déclinent la proposition dont je m'étais fait
l'organe.
J'ai toutes raisons de croire que toutes les autorités maçonniques
allemandes auxquelles j'adressais mon appel, ont été touchées par celui-ci,
puisqu'il a dû leur parvenir par l'obligeant intermédiaire du Consulat
d'Allemagne à Liège et de notre T.°. C.°. F.°. Bangel, de Francfort-sur-Mein, à
qui j'adresse l'expression de ma gratitude pour cette transmission.
Je ne puis donc que considérer le silence des sept Grandes Loges
qui n'ont pas jugé à propos de me répondre, comme un rejet des propositions que
contenait ma lettre et agir en conséquence.
Je considérerai aussi que les raisons, alléguées par deux Grandes
Loges qui ont bien voulu me répondre, sont également celles qui ont déterminé les autres à
m'opposer le refus tacite que constitue leur silence.
Il est de mon devoir d'examiner ces raisons et de faire
remarquer à nos FF.°. Allemands la faiblesse des arguments qu'ils m'opposent.
Tout d'abord je dois remercier mes Ill.°. Collègues des
Grandes Loges de Darmstadt et de Bayreuth de ce qu'ils ont bien voulu reconnaître
que ma proposition était uniquement inspirée par des sentiments maçonniques
sincères et profonds.
Il ne me reste donc qu'à rencontrer les motifs pratiques qui
les empêchent de donner à ces sentiments, une manifestation extérieure et
efficace.
On me demande où se trouvait, au moment où l'on déchaînait sur
l'Allemagne cette guerre scélérate, la Maçonnerie de Belgique, d'Angleterre et
de France.
Evidemment, ce n'est point le lieu ni le moment de discuter
si cette déplorable guerre a été déchaînée par l'Allemagne, ou contre elle.
Qu'il me suffise de dire, sans vouloir me prononcer officiellement dans cette
grave question, que la violation de la neutralité Belge était annoncée depuis
de longues années, que des autorités militaires la considéraient comme
inévitable, et que beaucoup d'Allemands estimaient que, si la guerre ne se faisait
pas en ce moment, le renforcement de la puissance militaire de la Russie, de la
France, et même de la petite Belgique, aurait rendu, dans un avenir très prochain,
la lutte plus que chanceuse pour l'empire Allemand.
Et l'on pourrait rappeler que l'Allemagne n'a pas voulu
adhérer à la proposition d'une conférence des puissances européennes destinées
à solutionnner le conflit qui s'était élevé entre l'Autriche-Hongrie et la
Serbie, et dont l'aggravation a été l'occasion, sinon la cause, du colossal
combat international qui secoue, en ce moment, l'univers tout entier.
Mais le terrain du débat n'est pas là, et je ne veux rien
indiquer de plus, dans cet ordre d'idées : j'entends me cantonner sur le
domaine purement maçonnique.
Je n'ai donc pas à répondre de l'attitude de la Maçonnerie anglaise
ni de celle de la Maçonnerie française.
Grand Maître de la Franc-Maçonnerie belge, je déclare et j'affirme
solennellement et sincèrement qu'elle a constamment, et de toutes ses forces,
combattu ce fléau abominable que constitue la guerre.
Dans nos conseils politiques, la Franc-Maçonnerie n'a aucune
action directe, pas plus d'ailleurs, je le sais, que dans les pays de l'Empire.
Et, eût-elle pu faire sentir une influence sérieuse et à supposer,
par impossible, que cette influence eût pu s'exercer dans une direction
contraire à celle que voulait suivre l'unanimité de la nation belge, encore
est-il que la soudaineté des événements l'eût empêchée de tenter utilement un
effort quelconque.
Il ne faut pas oublier que la Franc-Maçonnerie belge célèbre
chaque année en une séance solennelle, la Fête de la Paix, commémorative de la
première conférence de La Haye.
Il ne faut pas oublier que, le premier parmi les puissances Maçonniques,
le Grand Orient de Belgique avait décidé de se faire représenter officiellement
à la réunion maçonnique internationale, pour la Paix, qui devait se tenir cette
année même, du 14 au 19 août, à Francfort-s/Mein, et à laquelle avaient adhéré
plus de soixante Vénérables de Loges Allemandes.
Au surplus, je ne sache pas que des discussions se soient élevées
au sujet de l'attitude respective des adversaires, sur le territoire anglais,
français ou allemand, et c'est précisément dans la pauvre Belgique qu'ont été
commis les excès et les atrocités qui ont ému mon coeur d'homme et de maçon.
Je ne doute pas enfin, bien que n'ayant aucune qualité pour
engager qui que ce soit à cet égard, que les Maçonneries anglaise et française
ne soient toutes disposées à se prêter à une enquête sérieuse et impartiale sur
les faits qui ont atterré le monde civilisé.
C'est sur ces faits eux-mêmes, sur leur gravité respective, sur
la responsabilité de leurs auteurs, que porte le désaccord.
J'avais espéré et je crois encore, que ce désaccord pourrait
être aplani par l'acceptation de mes propositions.
En effet, je constate que vous considérez comme acquis et fermement
établi que, de tous les faits regrettables qui se sont passés, la
responsabilité comme celle de la guerre elle-même, retombe sur les ennemis de
l'Allemagne.
Or, c'est là toute la question : elle n'est pas résolue,
même par une affirmation énergique; elle reste à résoudre.
Je ne mets pas en doute un seul instant ni votre conviction,
ni la sincérité de vos affirmations, mais je veux dire simplement ceci :
Vous n'avez pas vu, vous n'avez pas entendu.
Vous vous êtes fiés à des allégations, à des récits, à des comptes-rendus
de journaux.
Vous n'avez entendu qu'une voix, qu'une cloche, qu'un son.
Et vous vous prononcez. Ne savez-vous pas cependant que le
bon juge ne se décide et ne rend sa sentence qu'après avoir écouté toutes les
parties en cause?
Ne croyez pas que nous, ici, nous soyons suggestionnés et trompés
par la presse des pays alliés.
D'abord les journaux de cette presse ne nous parviennent que
rarement et difficilement, et ensuite les organes de la presse allemande
circulent et sont lus abondamment dans notre pays.
Nous avons donc des éléments de comparaison, de critique et
de jugement.
Et néanmoins, je ne veux pas me prononcer, je ne veux pas
formuler de condamnation.
Celui qui a la faveur d'écrire les présentes lignes, a vu lui-même,
il a entendu de ses oreilles, il sait par lui-même.
Et malgré cela, il réservait son jugement, il ne demandait qu'une
chose : c'est qu'on fît contradictoirement la lumière, une lumière impartiale,
éclatante, complète qui fût projetée dans tous les sens, qui ne laissât rien,
aucun fait, dans l'ombre.
Pourquoi refuser cette lumière?
Ne craignez-vous pas d'entendre dire que si vous ne la voulez
pas, c'est que vous en avez peur?
Vous me dites aussi que vous ne croyez pas les soldats allemands
capables des excès qui leur sont reprochés. Evidemment, nous respectons votre
conviction à cet égard, mais encore une fois puisqu'il y a en sens contraire
des affirmations et des témoignages, pourquoi ne pas vous prêter à une vérification
contradictoire, aisée à faire, et qui ferait dans votre croyance éclater, sans
contestation possible, l'innocence de vos soldats ?
Je n'ai quant à moi, nulle crainte que l'on puisse de part
et d'autre, incriminer d'espionnage la commission qui procéderait à ces
constatations et vérifications : la qualité des hommes qui seraient choisis, et
leur parole d'honneur, répondraient de leur discrétion.
Pas davantage, on ne pourrait regarder comme une offense les
exhortations qui seraient adressées aux troupes en campagne.
Chacun sait, hélas ! que la guerre provoque inévitablement
les pires violences, que les meilleurs et les plus doux se laissent souvent aller,
dans l'ivresse guerrière, à des excès qu'ils n'auraient jamais commis de
sang-froid, ni dans la vie civile ordinaire. Et d'ailleurs, cet appel à
l'humanité des combattants et des populations civiles, aurait été adressé à
tous, sans distinction, et cette généralité lui aurait enlevé tout caractère
offensant, s'il avait jamais pu le
revêtir.
Pour terminer, il me reste à examiner un dernier point de
vue auquel vous vous placez pour déclarer ma proposition inacceptable.
Autant que vous regardez comme impossible que des troupes allemandes
aient pu se livrer à des atrocités, pillages et dévastations, autant vous tenez
pour certain que les populations belges ont commis, vis-à-vis de ces troupes,
une série d'actes de barbarie et de cruauté tels que ceux que vous citez dans
votre réponse.
A mon tour, je dois protester contre ces accusations qui
tendent à représenter mes compatriotes comme des êtres sauvages et barbares. Au
contraire, notre peuple est, dans son ensemble, laborieux, simple, brave,
honnête et bon. Le dévouement et la pitié sont, aussi bien dans la classe
ouvrière que dans les couches supérieures de la société, des qualités
dominantes, dont les preuves abondent. La criminalité n'y est pas plus
développée que dans d'autres pays, bien au contraire.
Quant aux tirailleurs, francs-tireurs, ils n'ont jamais
existé que dans l'imagination de ceux qui avaient intérêt à y faire croire.
Que des citoyens Belges, non-militaires, peu au courant des lois
et usages de la guerre, voyant d'une heure à l'autre leur pays envahi, leurs
biens et leurs personnes menacés, avant que les pouvoirs publics aient même pu
leur faire connaître les recommandations et prescriptions relatives à l'état de
guerre, que d'autres appartenant à la garde civique non active et non pourvue
d'uniformes ou de signes distinctifs, aient fait usage d'armes contre les
troupes régulières allemandes, je ne veux pas le nier, pas plus que je n'entends
le reconnaître.
Mais le fait est possible, et il pourrait s'expliquer. Toute
la question est de savoir si ces incidents ont été réels, s'ils ont été assez fréquents
et assez graves pour justifier les répressions terribles qu'ils ont provoquées.
Ne puis-je pas rappeler que dans un grand pays, voisin et allié
du vôtre, un chef de bandes de tirailleurs est devenu un héros national, et que
l'Autriche-Hongrie a élevé une statue à Andréas Hofer dans une des principales
cités de l'Empire? Qu'un tableau admirable reproduit dans toute l'Allemagne à
des centaines de milliers d'exemplaires, représente Andréas Hofer à la tête de
ses paysans, se faufilant l'arme à la main, pour surprendre l'ennemi ? Que
l'Allemagne eut aussi son Andréas Hofer ? Que si Napoléon Ier prit de sévères
mesures de répression, on pouvait croire, qu'en un siècle, le droit de la
guerre s'était humanisé ?
Quoi qu'il en soit, ces recherches eussent été de la
compétence de la commission proposée.
Cette commission aurait eu aussi à porter ses investigations
sur les prétendus actes de cruauté dont se serait rendue coupable la population
civile de mon pays.
Nous serions ainsi sortis des accusations vagues, dénuées de
preuves et de précision, qui ont été articulées contre le peuple belge et nous
aurions ou bien pu faire justice des calomnies, ou bien dû reconnaître et
blâmer les actes commis.
Mais, jusqu'à ce que la preuve en ait été faite, vous
comprendrez que la population belge proteste et s'indigne contre ces légendes
d'yeux crevés, de seins coupés, de blessés achevés, de médecins ou de soeurs de
charité lâchement assassinés, etc., etc...
Déjà d'ailleurs, il semble que la vérité commence à se faire
jour et à reléguer dans l'ombre ces contes bleus... ou rouges, qui feraient sourire, s'ils n'avaient coûté tant de larmes
et de sang.
C'est, outre certaines réserves timides de la presse
allemande, la protestation du grand journal hollandais « De Tijd », qui, dans son
numéro du 27 octobre, reproduisant un article de la « Kölnische
Volkszeitung », traite de « oude fabel » (vieille légende)
les récits qui rapportent que les soldats allemands auraient eu les yeux crevés
en Belgique. Et « De Tijd » reproduit l'attestation du célèbre prof. Dr Kuhnt,
l'occuliste bien connu de Bonn, qui déclare n'avoir pas constaté un seul cas
semblable dans sa clinique, alors pourtant qu'un individu colportait avoir vu,
lui-même, dans cette clinique, vingt soldats ainsi privés de la vue.
Et plus près de nous, .il y a quelques jours, un médecin allemand
de la plus haute autorité, le Oberstabsarzt Müller, faisait à son tour une
déclaration qu'il importe de mettre en lumière.
Prenant la parole, à l'occasion de la fermeture de
l'ambulance organisée à Liège par les Pères Jésuites, il reconnaissait que,
quand il était arrivé en Belgique, il était animé contre les Belges de préventions,
de soupçons et de craintes qu'il tenait de la lecture de journaux et de récits
qui avaient été rapportés. Or, ajoutait-il, ces préventions s'étaient
rapidement dissipées et il pouvait et devait rendre hommage au dévouement et à
la charité avec lesquels les Belges avaient traités tous les blessés qui
avaient été confiés à leurs soins, sans distinction de nationalité.
Un pareil témoignage, dont nul ne peut contester la valeur, donné
publiquement, vaut mieux que les informations aussi souvent sensationnelles que
fausses, lancées par les journaux et venge mes concitoyens des incriminations
inconsidérées dont ils ont été l'objet.
Mais encore une fois, je n'exige pas qu'on nous croie sur parole.
Je demande simplement, mais énergiquement, que toutes ces affirmations opposées
soient vérifiées, scrutées, contrôlées, et qu'il intervienne une sentence devant
laquelle tout le monde s'inclinera.
Car vous me dites que, si je pouvais m'informer auprès des prisonniers
détenus en Allemagne, je serais édifié sur les sentiments d'humanité des
Allemands et sur le traitement bienveillant qu'ils réservent à leurs prisonniers.
Eh bien, je vous prie de croire que ces informations, je les ai prises, que
j'ai pu lire des lettres de prisonniers, entendu des récits de ceux qui avaient
pu les voir et que, si la vérité m'oblige à reconnaître que beaucoup n'ont pas
à se plaindre de la façon dont ils sont traités, la vérité m'autorise aussi à proclamer
que beaucoup formulent à cet égard des plaintes les plus vives.
Pour la dernière fois, je le répète : je ne veux forcer
personne à le croire.
Mais pourquoi alors nous obliger à accepter comme certains
des faits que nous avons les plus graves raisons de croire erronés ?
Je m'excuse de la longueur de cette lettre; mais j'ai dû
relever, avec une franchise maçonnique, tout ce qui me paraissait sujet à critique
dans les deux réponses qui me sont parvenues.
Je n'ai pas grande confiance que mes arguments changeront quoi
que ce soit, sinon à l'opinion, tout au moins à la décision des organes
autorisés de la Franc-Maçonnerie allemande.
Mais c'est un devoir maçonnique de dire ce que l'on pense, parce
'que, tôt ou tard, la vérité finit toujours par remporter la victoire.
En terminant sa note, mon Vén.°. Collègue de la Grande Loge de Bayreuth déclare
qu'il ne voudrait pas recommander aux troupes allemandes, la miséricorde, la
bonté et la modération, parce que l'attitude de leurs ennemis ne le lui permettrait
pas.
Je regrette vivement une pareille façon de penser. La bonté,
le sentiment d'humanité sont des qualités hautement maçonniques, et qu'il ne
faut pas exercer uniquement à l'égard de ceux qui possèdent et montrent les
mêmes sentiments.
Quant à moi, je puis déclarer que, si la guerre était portée
sur le territoire ennemi, nous ferions tous nos efforts pour que les maux et
les rigueurs de la guerre soient adoucis autant qu'il serait possible et pour
que tous, soldats et civils, respectent ces grands principes de bonté,
d'équité, de justice et d'humanité auxquels mon Grand Orient et mes Loges demeureront
inébranlablement fidèles.
Veuillez agréer, très chers et très illustres Frères,
l'expression de mes sentiments fraternels.
CH. MAGNETTE.
P. S. — Je crois utile et intéressant de joindre en annexe à
la présente lettre le texte de la proclamation lancée par le Grand Orient de
Belgique au lendemain de l’ouverture des hostilités et un article du journal «
De Tijd » en date du 13 novembre, rendant compte des paroles de l'Oberstabsarzt
Müller dont je parle plus haut.
On m'assure que d'autres journaux ont aussi parlé de ces incidents,
mais je n'ai pu le constater personnellement.
*
* *
ANNEXES
Bruxelles, le 3 août 1914.
GRAND ORIENT DE BELGIQUE
AUX LOGES ET AUX MAÇONS DE BELGIQUE,
Le Grand Orient de Belgique, en les circonstances tragiques
que traverse le pays, exprime sa désolation de voir l'idéal pacifiste et
humanitaire de la Maçonnerie atteint, à cette heure même, de la manière la plus
abominable ;
Emu de voir le péril que courent à la fois l'indépendance de
la Belgique et la cause de la civilisation ;
Décidé à concilier les nécessités de son patriotisme avec
son amour indéfectible de l'humanité ;
Convaincu que chacun de ses affiliés est prêt à accomplir tout
son devoir vis-à-vis de la nation;
Convie les Loges du pays à organiser de toute urgence, avec
le concours des Maçons, de leur femme et de leurfamille; des hôpitaux
provisoires, des ambulances fixes ou volantes, des ouvroirs ou réfectoires, où
pourront être soignés ou ravitaillés les blessés que les carnages laisseront à
la charge de la pitié et de la solidarité humaine;
Déclare que l'aide à apporter aux victimes de la guerre devra
être distribuée entre elles sans distinction de classes, de races ou de
confessions, le plus grand respect étant octroyé à la liberté de conscience de
chacun.
*
* *
« De Tijd », Vrijdag, 13 November 1914. Nr 20447.
Getuigenis van een duitscher, te Luik.
Maastricht, 12 Nov. (Van een bijzonderen correspondent) :
« Ter gelegenheid van de sluiting der ambulance, welke door het
Roode Kruis van België was opgericht in de lokalen van het Sint-Servatius
College der Jesuieten, te Luik, hebben de paters Zondag j. l. de behandelende
geneesheeren en de Oberstaabartz Dr Müller aan een afscheidsmaal genoodigd. De
zeereerwaarde pater rector hield daarna een korte toespraak, waarin hij de geneesheeren
dankte voor hunne zorgen, den gewonden betoond.
Hij en Dr Sniers, de directeur van het Roode Kruis, te Luik.
die op deze toespraak antwoordde, brachten hulde aan de hartelijke verstaldhouding,
welke steeds tusschen hen en Dr Müller had geheerscht ».
Dr Müller antwoordde als volgt :
« Toen hij bevel ontving, naar Luik te gaan, was hij aanvankelijk
een weinig ongerust naar aanleiding van al het kwaad dat de Duitsche bladen
over de Belgische bevolking hadden beweerd. Doch aldra bemerkte hij, dat hij
zich had vergist. Hij had gezien dat alle gewonden, zonder onderscheid, vriend
zoowel als vijand, het voorwerp zijn geweest van de meest hartelijke zorgen van
geheel het hospitaal-personnel en hij had voor hen slechts alleen lof. Steeds
zou hij de aangenaamste herinnering beweren aan zijn verblijf te Luik en de
vriendschappelijke betrekking, waarin hij had gestaan met de paters Jesuieten
en zijn Collega's ».
» Indien men bedenkt, dat Dr Müller drie maanden in Luik geweest
is en er in deze ambulance 5 tot 600 gewonden werden verpleecht, zal men aan
dit getuigenis waarde kunnen toekennen. Ket is een nieuw démenti van al den
laster welke tegen het Belgische volk is uitgebracht ».
*
* *