SORCIER(E)S Aperçus sur la sorcellerie en Flandre


"La Chute du magicien"
Pieter Bruegel l'Ancien, 1565



APERCUS SUR LA SORCELLERIE EN FLANDRE
 AUX XVIe ET XVIIe SIECLES


Extrait du Chapitre VIII

de

"L’Eglise et la sorcellerie, précis historique"

Par J. Français

Librairie Critique
Emile Nourry
1910


D’après un document contemporain, « durant les XVIe et XVIIe siècles, dans les Flandres, le Brabant et le pays de Liège, une multitude innombrable de sorcières ont péri dans les flammes ; ces exécutions ont dépeuplé des localités entières, et les personnes les mieux famées, dénoncées comme sorcières, ont été jetées dans les prisons et exposées à des périls extrêmes. » (Rapport au Conseil de Flandre 1664…) Les tribunaux des Pays-Bas attribuaient une importance capitale à la Marque. Ce fut elle qu’on rechercha spécialement sur Liévin Pien, échevin de la ville de Gand, avant de le décapiter, le 28 août 1539, et sur les deux sorcières exécutées à Melin en 1681. La femme d’un meunier de Gand, Adrienne Schepens, arrêtée en octobre 1601, se défendait énergiquement d’être sorcière. On lui trouve une marque à l’épaule gauche, un coup de quenouille, dit-elle, que lui a porté sa belle-mère, deux marques sur l’épaule droite dans lesquelles l’aiguille s’enfonce profondément sans que le sang jaillisse et sans que l’accusée paraisse sentir aucune douleur (Ndla. : Dans les Pays-Bas, on connaissait un moyen d’éviter la Marque : il fallait passer un fil dans le menton d’un mort et coudre à son habit ce fil avec la même aiguille. Pour avoir été surprise pendant cette opération, Georginne Polet fut poursuivie en 1609 (Reg. crim, 18 mars 1609)).

On avait à Oudewater une preuve beaucoup plus singulière : on pesait l’accusé dans la balance de la ville et on le relaxait que si son poids « s’accordait avec ses proportions naturelles ». C’était là un privilège dont la ville d’Oudewater, avec son peseur juré, était très fière.

J. Cannaert a réuni les dossiers de quelques procès de l’époque qui nous occupe. Le 23 décembre 1595, la Cour de Flandre condamnait Elisabeth Vlamynck « à être exécutée par le feu sur un échafaud dressé en cette ville de Gand ». Les griefs sont le pacte, le sabbat, le succubat « prouvés tant par ses propres aveux faits à la torture qu’autrement ».

Le mardi 14 juillet 1598, c’est le tour de Cornélie Van Beverwyck, une vieille femme de 75 ans, surnommée Nèle aux pieds-nus. Griefs : depuis plus de dix-huit ans, elle ne se confesse ni ne communie plus, elle a une marque à la jambe gauche, elle s’est unie personnellement à Satan en plein jour à Ackerghem, elle garde certaines herbes qui lui servent à ensorceler les bestiaux et les gens, à faire perdre aux commerçants leurs pratiques. Cela « constitue le crime de lèse-majesté divine. » Elle est brûlée vive. Pour des délits similaires, l’Ecoutète d’Avers fait condamner le 22 août 1603 Claire Goessen, originaire de Strasbourg.

Les échevins de Vere condamnent à être brûlées vives Digna Robert, surnommée Vin-et-Eau, qui faisait périr les navires sur mer et Gertrude Willems qui couchait avec un diable nommé Heyne (1565).

En août 1604, les échevins de Gand envoient au bûcher une vendeuse de pain d’épices, Elisabeth de Grutere, âgée de 70 ans : elle avait aussi un démon comme compagnon de débauche ; il lui était apparu le soir de Noël, tandis qu’elle maudissait ses haillons en songeant aux femmes pauvres comme elle, mais orgueilleuses et bien mises, qu’elle avait vu défiler aux portes de l’église.

Les loups-garous apparaissent vers le milieu du XVIIe siècle : Mathieu Stroop est étranglé et brûler à Singhem sur ses aveux de lycanthropie ; en 1661, Jean Vindevogel, d’Oycke, près Oudenarde, subit le même supplice pour avoir, en plus, apparu dans les airs pendant l’orage qui mit le feu à l’église de Sainte-Walburge et ensorcelé plusieurs personnes.

Martha van Vetteren était une sorcière plutôt bienfaisante : elle guérissait les moutons de la clavelée, retrouvait les bestiaux volés, faisait pousser le blé sur les sillons, procurait à ses amies des maris fortunés qui mouraient bientôt. Elle est néanmoins brûlée vive en 1684. La sentence prononcée en juillet ne fut exécutée qu’en octobre, après la délivrance de l’accusée qui était enceinte.

L’une des accusées les plus chargés de griefs fut Josine Labyns de l’arrondissement de Courtrai. Comme la plupart des sorcières, le diable lui était apparu dans un moment de détresse et de noire misère ; mais il avait revêtu pour elle un costume qu’on ne lui voit guère dans l’histoire de la sorcellerie : il était vêtu en prêtre et rencontrait Josine dans l’étable du voisin. D’après une clause de leur pacte, Satan la payait pour chaque personne ou bête ensorcelée. Voici le prix auquel le diable estimait ses victimes : 14 sols parisis pour un cheval, 10 pour un homme, 6 pour une vache, 5 pour une femme, 3 pour un enfant. Ce diable était un bien mauvais plaisant, qui prisait un cheval et une vache plus qu’un homme ou qu’une femme. Et encore estimait-il un Belge plus qu’un Picard (Ndla : comparons ses prix en France. Il donnait à une sorcière exécutée à Neuville en Picardie, en 1586 : 2 sols six deniers pour un homme, 2 sols par femme, et 12 deniers par bête. …). Josine fut étranglée et brûlée, tous ses biens confisqués, par sentence du 1er août 1664.

Le procès de Suzanne Gaudry, dont nous avons parlé déjà, se déroula à Mons en 1652. Nous avons l’avantage de posséder son procès entièrement, chose fort rare, et il est resté jusqu’ici inédit (Archives du département du Nord, 7566 bis). Nous le publions parmi les documents joints à ce travail. Les plaintes d’Alfred Maury et du Dr Richet sur la rareté des procès de sorcellerie publiés entièrement feront comprendre l’intérêt de ce document.

Suzanne Gaudry était née près d’Oudenarde « le jour qu’on faisait les feux de joie pour la paix d’Anvers entre la France et l’Espagne. », mais elle ignorait son âge. Ce n’était point une miséreuse ; elle avait maison et jardin, les hallucinations diaboliques se liaient originairement chez elle à de l’érotisme. Sa tante avait été brûlée comme sorcière. Elle était, en outre, atteinte, hystérie ou sénilité ? de cécité partielle et de surdité. On lui reprochait la mort de sa voisine et celle d’un cheval, attribuée à ses sortilèges. Sous le prétexte qu’on la relaxerait de suite, les paysans lui conseillèrent d’avouer tout ce qu’on lui reprochait, et de fait, elle ne fit aucune difficulté d’avouer ses rapports avec Satan, mais elle nia pourtant d’abord les autres accusations. La Cour de Mons fit reprendre l’information. L’accusée revint sur ses aveux. Mais on lui trouva la marque, et à force de la torturer, elle finit par laisser échapper des aveux qu’elle retira aussitôt. Finalement, elle refusa de répondre. Elle n’en fut pas moins condamnée, le 9 juillet 1652, à être attachée à la potence, étranglée et brûlée pour crime de lèse-majesté divine. 

Ajoutons quelques faits rapportés par Scheltema : « d’après le protocole de la ville de Ruremonde en l’année 1613, eurent lieu dans cette ville et dans ses environs des poursuites pour sorcellerie d’une rigueur sans exemple jusqu’alors, tant sur le rapport des méfaits reprochés aux sorcières que de la cruauté des peines dont on les frappait. Suivant ce document, plus de mille individus, vieillards et enfants, et plus de six mille bestiaux auraient péri par le fait des sorciers, qui auraient en outre, en certains endroits, entièrement détruit les récoltes, les pâturages, les vergers et les forêts, en conséquence, à partir du 24 septembre 1613, jusqu’au mois de novembre, on en pendit et brûla soixante-quatre, deux par jour. A Ruremonde, l’origine de ces poursuites fut un propos d’enfant, à la suite duquel une femme fut soupçonnée de s’adonner à la magie ; ces poursuites eurent pour résultat le malheur et la perte d’un grand nombre de familles, tant de la ville que des villages voisins, Stralen, Oul, Wassenberg, Swalm et Herringhem. Le plus célèbre de ces procès est celui d’une sage-femme, nommée Eutjen Gillis, qui devait avoir exercé la magie depuis plus de trente ans et qu’on appelait la Princesse des sorcières, tandis que son complice, un chirurgien du nom de Maître Jean, était appelé le Porte-Drapeau des sorciers. Ils furent l’un et l’autre brûlés vifs après avoir souffert d’effroyables tourments. » 


AFFICHES "ART NOUVEAU" DE HENRI PRIVAT-LIVEMONT