FM Léopold Ier, roi des Belges, était-il franc-maçon ?

 

Léopold Ier, roi des Belges
Par Franz-Xaver Winterhalter



LÉOPOLD Ier, ROI DES BELGES, ÉTAIT-IL FRANC-MAÇON ?


S’il est un sujet qui, au sein de la Franc-Maçonnerie belge et même et surtout en dehors d’elle, a suscité et suscite encore de nombreuses controverses, c’est bien celui de l’appartenance du premier roi des Belges, Léopold Ier, à l’Ordre maçonnique.

Léopold de Saxe-Cobourg-Saalfeld est né le 16 décembre 1790 à Cobourg (actuellement en Bavière), et est mort le 10 décembre 1865 au Palais de Laeken (en Belgique).  Il est élu comme premier souverain belge le 4 juin 1831 et prête serment et allégeance à la Constitution belge le 21 juillet 1831.

Léopold Ier était-il franc-maçon ? 

Son appartenance à cet Ordre ne serait pas, en soi, inhabituelle. A son époque, tout comme de nos jours encore, des rois et des princes étaient initiés aux mystères de la Franc-Maçonnerie, et souvent, en devenaient les protecteurs. Jérôme, Joseph et Louis Bonaparte, frères de l’empereur Napoléon Ier, furent maçons. Fut également maçon le roi de Hollande Guillaume Ier, ainsi que son homonyme germanique, Guillaume Ier, empereur du Second Reich. Les rois d’Angleterre Georges VI et Edouard VIII étaient francs-maçons. Le duc d’Edimbourg , époux de la reine Elisabeth II d’Angleterre, était membre de la Royal Navy Lodge. L’actuel roi Carl XVI Gustav est Grand Protecteur de l’Ordre maçonnique en Suède. Etc. 

Alors qu’il est en campagne militaire – comme colonel puis général à la tête d’un régiment de cavalerie russe - dans une guerre qui oppose Napoléon Ier  à une coalition composée de la Prusse, de la Russie, de l’Autriche et de la Suède, le prince Léopold est reçu dans l’Ordre maçonnique en septembre 1813, par prérogative de Rudolf-Abraham von Schiferli (1), docteur en médecine et chirurgien suisse, chevalier Rose-Croix du Chapitre de la loge Zur Hoffnung (l’Espérance) à Berne (2). 

Le prince Léopold ne sera pas "initié" au 1er degré de la maçonnerie symbolique selon la règle habituelle, qui requiert la présence de l'impétrant à une cérémonie - disons un rituel - tenue dans une loge maçonnique. Ce grade, ce 1er degré, lui est donc attribué de manière honoraire, tout comme lui seront attribués les 2ème et 3ème degrés suivants, en décembre de la même année. A cette époque, une telle procédure peut être admise dès lors qu’elle est engagée par un membre de la Franc-Maçonnerie revêtu du grade de Chevalier Rose-Croix; c'est donc sous le "parrainage" très spécial de Schiferli que Léopold devient maçon honoraire de la loge Zur Hoffnung à Berne.

Cette procédure particulière est décrite dans une lettre du 18 janvier 1866 émanant de la loge Zur  Hoffnung, et adressée au Grand Orient de Belgique, lequel avait souhaité obtenir une information officielle détaillée sur l'appartenance de Léopold à l'Ordre maçonnique :



(suite...)

« Ce qu’ayant entendu, et considérant : que l`initiation de son Altesse étant de soi déjà profitable à l'Ordre Royal, elle ne pourra que faire honneur à notre Orient ; que suivant nos statuts, tout Chevalier Rose-Croix a le droit de donner la lumière à des profanes, aux lieux où ne se trouvent pas des loges régulières ; que le Très Respectable et Cher Frère de Schifferlin, membre de notre loge, possède le droit précité, en vertu de son rang maçonnique :

l'Assemblée décide par dix-huit voix contre deux, qu’elle donne au Frère de Schifferlin l’autorisation de procéder a cette réception au nom de la Respectable Loge l'Espérance, à l’Orient de Berne, bien entendu que l'acte aura lieu solennellement, et qu”il y sera tenu le meilleur compte des obligations maçonniques. »

Extrait du Procès-Verbal du 9e jour du 10e mois 5813.

« Il est donné connaissance à la loge d’une planche adressée au Vénérable Maître en Chaire de la part du Frère de Schifferlin, qui demande l’autorisation d'initier le prince de Cobourg aux 2e et 3e grades, et qui, en outre, exprime le désir qu'il plaise aux Frères de nommer le prince membre honoraire de 1'Espérance. 

Là-dessus, considérant que le prince de Cobourg a été reçu franc-maçon dans les formes régulières; mais que, en sa qualité d’apprenti, il ne pourrait en tous cas jouir des avantages dus, soit à son rang, soit aux nobles sentiments dont on le sait animé, 

la Loge l'Espérance déclare : 

« qu'elle autorise le Frère de Schifferlin à revêtir le prince de Cobourg des 2e et 3e grades de la maçonnerie symbolique ; que, de plus, elle le reçoit membre honoraire, et lui en fera délivrer le diplôme en bonne forme. » 

Le Frère de Schifferlin, dont il s'agit ici, était médecin privé d'une Grande Duchesse de Russie, et conseiller de cour russe. C'est peut-être en cette qualité qu'il avait fait la connaissance du prince, alors général de l'Empereur Alexandre I.

Nous sommes persuadés, Très Illustre Grand Maître, Très Respectables et Bien Aimés Frères, que vous accueillerez ces données avec plaisir; car elles intéressent la Maçonnerie Belge au suprême degré. C'est aussi pour cette raison que, de son propre mouvement, notre loge nous avait chargés de vous mander la part qu’elle a prise au décès du feu roi, notre Bien Aimé Frère et membre honoraire. Une loge funèbre, tenue le 18 décembre dans notre Temple maçonnique, a consacré une large place à l’honneur du Frère Léopold, et sanctifié sa mémoire en lui érigeant le monument d’usage, quand d'éminentes vertus font regretter davantage chez un Frère aimé la fin d'une vie longue et dignement remplie. Cette vie de l’Illustre Frère défunt, l’esquisse biographique usitée dans cette grave solennité en a marqué les traits distingués, ceux principalement de l'homme au bandeau royal, et qui, assis sur le trône, en a remplacé le faux éclat par la lumière des plus généreux sentiments qui honorent la franc-maçonnerie. 

C'est assez vous dire, Très Illustre Grand Maître, Très Chers Frères, que le souvenir de l’Illustre Roi Maçon défunt est gravé en traits ineffaçables dans le Temple maçonnique de l'Orient de Berne. Si avec vous, Frères belges, nous déplorons sa perte, nous sommes heureux de partager aussi la jouissance de sa mémoire avec tous vos ateliers ; et votre Grand Orient voudra bien faire part de ces sentiments au Suprême Conseil du système écossais. Comme nous n’avons pas d’adresse profane, nous ne pouvions remplir...


Quoi qu’il en soit de l’engagement maçonnique de Léopold Ier, et bien que ce roi ait parfois pris quelques distances par rapport à la Franc-Maçonnerie belge pour des raisons de neutralité, celle-ci  n’a pas manqué de faire état de son appartenance à l’Ordre.  C’est ainsi que, dans le contexte de cette appartenance royale, le Grand Orient de Belgique fit valoir une protection spéciale que lui aurait accordée le souverain. Et c’est ainsi, aussi, que la statue de Léopold Ier, revêtu d'un "décor maçonnique", est présente dans un local bruxellois du Grand Orient de Belgique. 


Statue de Léopold Ier dans un temple du Grand Orient de Belgique.
Le souverain y arbore un "décor maçonnique"


Léopold Ier a-t-il fréquenté les loges ?

On ne peut sans doute pas répondre avec toute la précision voulue à cette question. 

A-t-il jamais participé, par présence réelle, aux travaux de la loge Zur Hoffnung à Berne ?  Rien ne semble l'indiquer.

Selon certaines sources, il aurait fréquenté des loges anglaises, lors d'un long séjour au Royaume-Uni (où il épousera, en première noce, la princesse Charlotte de Galles).  Ce que contestent quelques auteurs contemporains. Mais...

... Lors de la cérémonie funèbre en mémoire de Léopold Ier organisée par le Grand Orient de Belgique le 10 février 1866, le Frère De Fré, Grand-Orateur, évoque le séjour du roi au Royaume-Uni, et précise :  « Il s’était fait affilier à l’ordre royal du rit (sic) écossais. Il était premier Surveillant de la loge de l’Amitié à l’Orient de Londres dont le duc de Sussex était Vénérable ». (Cf. Cérémonie funèbre en mémoire du Frère Léopold de Saxe-Cobourg, 1er roi des Belges, protecteur de la Franc-Maçonnerie Nationale, édité à Bruxelles par Lacroix, Verboeckhoven et Cie, 1866 – Page 29).

(Cette loge de l'Amitié, en fait la Lodge of Friendship n° 6 (ex n° 3), a été constitué le 17 janvier 1721. Augustus Frederick, duc de Sussex, s'y affilie en 1806 (en décembre 1813, il sera élu premier Grand Maître de la Grand Loge Unie d'Angleterre fraîchement constituée). On notera, pour la petite histoire, que Léopold Ier et le duc de Sussex sont tous deux oncles de la reine Victoria).

Dans la suite de son discours, le Grand-Orateur précise encore :  "Il appela sur lui l'attention des hauts dignitaires de son atelier, et il fut récompensé de son zèle et de son dévouement à l'ordre par une haute distinction qui est rarement conférée. Il fut élu Chevalier Kadosch". (Cf. idem, page 29 - Voir annexe II au présent article).

La statue qui représente le roi, dans un local du Grand Orient de Belgique, le montre arborant un cordon, ou "décor maçonnique", marqué des lettres CKS (pour "Chevalier Kadosch"), indiquant par là qu'il a atteint le 30ème degré du Rite Ecossais Ancien et Accepté, et fait preuve de persévérance effective sur la voie maçonnique... Persévérance réelle ou titre une fois encore honoraire ?

(Il convient de signaler que cette statue est une copie de celle qui a été érigée au sommet de la Colonne du Congrès à Bruxelles (3), mais le cordon que porte Léopold sur cette dernière est celui de l'Ordre de Léopold, et non celui d'un grade maçonnique).

Bref... Reçu maçon honoraire en Suisse, maçon actif au Royaume-Uni, et souverain maçonniquement neutre en Belgique... Ce sont les rares éléments qui permettraient de cerner l'activité maçonnique de Léopold Ier.


L'hommage funéraire du Grand Orient de Belgique (4)

A l'occasion de la mort de Léopold, survenue le 10 décembre 1865, le Grand Orient de Belgique rendra hommage au souverain, en organisant une cérémonie funèbre où seront présents les dignitaires maçonniques de plusieurs loges belges et étrangères, et où seront lues les lettres de condoléances émanant de plusieurs obédiences maçonniques européennes (Cf. Cérémonie funèbre en mémoire du Frère Léopold de Saxe-Cobourg, 1er roi des Belges, protecteur de la Franc-Maçonnerie Nationale, édité à Bruxelles par Lacroix, Verboeckhoven et Cie, 1866 - Voir annexe II au présent article).
 

Annonce du Grand Orient de Belgique faite aux Loges de l'obédience,
à l'occasion de la mort de Léopold Ier

Cérémonie funèbre en mémoire de l'Illustre Frère Léopold Ier, au Grand Orient de Belgique,
le 10 février 1866
Lithographie éditée par le Grand Orient de Belgique

Médaille commémorative éditée par le Grand Orient de Belgique en 1866 :
Cérémonie funéraire - 10e jour 12e mois 5865 - En mémoire
du Très Cher Frère Léopold de Saxe-Cobourg, Roi des Belges
Grand Orient de Belgique

(Le 10e jour 12e mois 5865 correspond au 10 février 1866 du calendrier civil)



Charles Saint-André


(1) Rudolf-Abraham von Schiferli (parfois orthographié Schifferli, ou Schifferlin) : né le 30.9.1775 à Thun (Suisse), et décédé le 3.6.1837 à Berne (Suisse). Etudes de médecine à Iéna (Thèse sur la cataracte, 1796), Vienne et Paris. Elève de Friedrich Rudolf Jutzeler à l'institut pour les aveugles de Berne. Médecin militaire en 1798, chirurgien-chef des troupes fédérales helvétiques (1802-1805). Médecin vaccinateur du canton de Berne (1804), directeur de l'école de sages-femmes (1805), professeur de chirurgie et gynécologie à l'Académie de Berne (1805-1812). Député au Grand Conseil helvétique (1814-1831).

Rudolf von Schiferli entretiendra une relation sentimentale avec Juliane de Saxe-Cobourg-Saalfeld, dite aussi Anna Feodorovna, grande-duchesse de Russie (1781-1860), sœur du roi Léopold Ier, et première épouse de Constantin Pavlovitch Romanov, grand-duc de Russie, frère du tsar Alexandre Ier. De cette union naîtra en 1812 une fille, Louise-Hilda Schiferli. Cette circonstance, entre autres, explique le lien existant entre Léopold et Schiferli.

(2) La loge Zur Hoffnung (L'Espérance), encore en activité de nos jours, est créée en 1804 sous la dénomination Saint Jean de l'Espérance à l'Orient de Berne, et sous l'autorité du Grand Orient de France (la Suisse est sous domination française à cette époque). En 1819, elle se rattache à la Grande Loge Unie d'Angleterre. C'est en 1844 qu'elle passe sous l'autorité de la Grande Loge Nationale Suisse Alpina.

(3) Cette statue de Léopold Ier placée au sommet de la Colonne du Congrès a été réalisée en 1859 par Guillaume Geefs (1805-1883), franc-maçon, membre de la loge Les Amis Philanthropes du Grand Orient de Belgique.

(4) Dans la « sphère maçonnique », qui couvre le monde entier (à l’exception de l’une ou l’autre dictature d’extrême-gauche ou d’extrême-droite, laïque ou religieuse), les loges maçonniques se regroupent et s’organisent de manières très variées, selon leurs affinités, selon leurs rites, selon leurs tendances sociétales ou symbolistes, voire selon des « reconnaissances » (ou non) accordées par la Grande Loge Unie d’Angleterre. Ces regroupements de loges portent généralement le nom « d’obédience ».

Dans la Belgique d'après 1830, la première fédération de loges maçonniques officielle – ou « obédience » - se nomme « Grand Orient de Belgique », dès 1833. Viendront ensuite d'autres obédiences :  le Droit Humain, la Grande Loge de Belgique, la Grande Loge Régulière de Belgique, la Grande Loge Belge de Memphis-Misraïm, la Grande Loge Féminine de Belgique, Lithos... Et n'entrons pas ici dans les détails complexes des obédiences vouées à la gestion des "hauts-grades", souvent nommées "Suprême Conseil" !



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ANNEXE I

Médaille frappée à l'occasion de la création du Grand Orient de Belgique en 1833, portant mention d'une faveur royale accordée à la franc-maçonnerie belge





RESURGENS TENEBRAS VERA LUCE DIMOVET 

En ressuscitant il disperse les ténèbres par la vraie lumière





AD MAJOREM DEI GLORIAM
FELICIB. AUSPICIIS
LEOPOLDI BELGAR. REGIS
PRIMO RECTORE F∴ J. DEFRENNE
MAGNUS ORIENS CONDITUR
BRUXELLIS 
XXIII DIE DUODEC. MENSIS 
A.L.VMDCCCXXXII

A la plus grande Gloire de Dieu, sous les heureux auspices de Léopold roi des Belges, 
est fondé le Grand Orient sous la présidence du Frère J. Defrenne  
A Bruxelles, le 23e jour du 12e mois de l'année de la Vraie Lumière 1832

(Le 23e jour du 12e mois de l'année de la Vraie Lumière 1832 
correspond au 23 février 1833 du calendrier civil)



ANNEXE II

Cérémonie funèbre en mémoire du Frère Léopold de Saxe-Cobourg 

(Le 10e jour 12e mois 5865 correspond au 10 février 1866 du calendrier civil)













































AFFICHES "ART NOUVEAU" DE HENRI PRIVAT-LIVEMONT

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