LE MOINE SORCIER DE STAVELOT
"Le Val de l'Amblève : Histoires et Légendes Ardennaises"
Par Marcellin La Garde
(1818 - 1889)
I
Au cœur de l'hiver de l'année 1596, par un froid des plus
âpres, un lourd coche, traîné par quatre vigoureux chevaux, suivait la route de
Spa à Stavelot. Ce coche renfermait pourtant quatre hommes d'âge avancé et de
haute qualité : c'étaient André Streignard, suffragant d'Ernest de Bavière,
prince-évêque de Liége; Jean Chapeauville, grand vicaire, et Pierre Oranus,
chancelier dudit prince-évêque; puis Jean Malempeter, avocat fiscal. Tous,
chaudement vêtus et assis sur de moelleux coussins, causaient gaiement, malgré
le vent du nord, qui hurlait, et les cahots imprimés à leur maison roulante par
les inégalités du chemin.
Ils étaient arrivés au fond du ravin où coule la Roanne, en
deçà du hameau de Neuville, lorsque Malempeter, interrompant Chapeauville qui dissertait
sur un point de théologie, lui dit, à demi-voix, en lui montrant un marécage à
peu de distance de la route:
— Tenez, voilà précisément la place où a eu lieu l'aventure
dont nous causions hier soir.
Chapeauville regarda avidement à travers la vitre de la
portière, et il se mit à sourire.
— De quelle aventure est-il question? demanda Oranus, qui
semblait intrigué.
— Oh! une bonne histoire, répondit Chapeauville. Voyons,
Malempeter, racontez à ces messieurs votre centième patagon puisque nous avons
sous les yeux le lieu de la scène:
— "Volontiers, dit l'avocat fiscal: « Sachez donc que
François Monthouet, charretier à Francorchamps, éprouva, il y a quelques mois,
plusieurs revers sans exciter grand'pitié de la part de ses voisins, car c'est
un drôle dont presque tout le village a plus ou moins à se plaindre. Le même
jour, il avait vu sa cabane brûler, son cheval mourir et sa charrette tomber en
pièces. Malgré sa réputation de chrétien équivoque, il se tourna, dans sa
détresse, vers son saint patron, qu'il allait souvent prier dans l'église du
couvent de capucins récemment fondé à Stavelot. Il lui fallait cent patagons,
autrement dit trois cents écus, pour rétablir ses affaires, et c'est ce qu'il
conjurait saint François de lui accorder. Donc, à genoux devant son image, il
lui disait chaque fois à haute voix : — « Bienheureux saint François,
faites-moi obtenir cent patagons, mais pas un de plus, pas un de moins, car
j'ai juré de n'accepter que cela, puisque c'est tout juste ce qu'il me faut
pour reconstruire ma maison, acheter un cheval et faire raccommoder ma voiture.
»
Le père supérieur, homme jovial, l'entendant sans cesse
répéter les mêmes paroles, s'avisa de laisser tomber devant lui une bourse
renfermant quatre-vingt dix-neuf patagons seulement, s'imaginant, dans sa
bonhomie, que le charretier, conformément à son vœu, ne les prendrait pas, et
voulant un peu s'amuser de sa surprise et de ses perplexités.
Monthouet ouvrit, en effet, de grands yeux, puis il compta
et recompta la somme, et, sans hésiter, l'empocha, en disant avec componction:
— Oh! mille fois merci, mon bien-aimé patron. Pour le
patagon qui manque, ne vous gênez pas... Je retrouverai cela à l'occasion...
Trop heureux d'être votre débiteur.
Il sortit bien vite de l'église, au grand ébahissement du
prieur, qui n'osa le retenir pour ne pas avouer une plaisanterie dont il
comprit trop tard les conséquences, au double point de vue , de son intérêt et
du respect qu'il devait au lieu où il se l'était permise.
Quelque temps après, un mur de l'église, fraîchement bâtie,
s'écroula, et il fut décidé qu'on recourrait à la charité des fidèles pour
obtenir de quoi le rebâtir. Deux frères se mirent donc à quêter, accompagnés
d'un âne qui devait porter les dons en nature, à travers les chemins pénibles
qu'ils avaient à franchir pour arriver aux villages voisins.
Un jour qu'ils revenaient de la Gleize et se dirigeaient sur
Francorchamps par le fond de la Roanne, leur âne s'embourba dans le marécage
que nous venons de voir, et les voilà adressant à la pauvre bête toutes sortes
d'invitations et de prières pour l'engager à avancer. Mais elle ne bougeait
pas.
Sur l'entrefaite, arriva François Monthouet, conduisant une
charrette neuve que traînait un excellent cheval. Il voit l'embarras des
moines:
— Attendez, leur dit-il, je vais vous porter assistance.
Et prenant son fouet, il accable de coups le baudet en
proférant d'affreux jurons, et en invoquant tous les diables de l'enfer.
L'animal fut sur pied en un instant. Les frères quêteurs, scandalisés,
s'écrièrent en reculant:
— Oh! la maudite bête, qui reste sourde à nos prières et ne
répond qu'à l'appel du démon... Qu'elle s'en aille vers lui...
— Très-bien, mes chers frères, dit résolument Monthouet,
vous avez raison: j'accepte le cadeau.
Il allait continuer sa route et poussait déjà le grison
devant lui, lorsque s'arrêtant tout à coup:
— A propos, dit-il : à quel ordre appartenez-vous donc?
— Vous le voyez, répondirent les capucins, nous sommes des
fils de saint François.
— Ah! vous êtes les fils de saint François... Eh bien, votre
père me redoit un patagon depuis plusieurs semaines, et voici une bonne
occasion pour me payer sa dette, car votre pochette me semble bien remplie.
Et il se mit, avec une intention marquée, à faire claquer ce
fouet qui avait si rudement fonctionné sur le dos de l'âne .
Que devaient faire les bons pères avec un pareil
garnement?... »
Jean Malempeter en était là de son récit, lorsqu'un
craquement se fit entendre sous la voiture, qui chancela et versa le long du
talus de la route, — ce qui fit que ceux qui l'occupaient ne reçurent que de
légères contusions.
Un des essieux s'était rompu net par le milieu,
Oranus, lorsqu'il fut sur pied, dit avec l'expression de la
mauvaise humeur, en s'adressant à l'avocat fiscal:
— Pourquoi aussi raconter de pareilles histoires? C'est cela
qui nous a porté malheur.
— Est-ce sérieusement que vous parlez ainsi? reprit Malempeter
avec animation.
Le chancelier allait répondre, lorsque Streignard prit la
parole:
— Eh ! messieurs, dit-il, ne voyez-vous pas qu'il y a dans
cet accident inattendu quelque chose qui semble trahir la main qui l'a causé?
Ne serait-ce pas celle du misérable que nous allons juger?
-« C'est vrai! crièrent à l'envi Oranus, Chapeauville et
Malempeter.
-- Mais la Providence n'a pas voulu que le plan du
moine-sorcier Delvaux réussît, ajouta Streignard; nous voilà sains et saufs, et
nous pouvons continuer notre route à pied puisqu'une demi-lieue a peine nous
sépare de Stavelot, d'où nous enverrons des ouvriers pour faire réparer notre
voiture.
Il était nuit close lorsqu'ils arrivèrent à l'abbaye, où ils
furent reçus avec les honneurs dus à leur rang et à la mission qu'ils venaient
remplir.
Cette mission était aussi grave qu'étrange :
En effet, un moine du monastère, Jean Delvaux, était accusé
de magie, « comme étant l'un des chefs des sorciers qui désolaient le pays de
Stavelot, par leurs réunions nocturnes, où les démons et les personnes des deux
sexes se livraient aux plus détestables dérèglements. »
Nos quatre personnages étaient donc délégués pour connaître
de cette affaire, la juger, et faire exécuter le jugement, avec pouvoir de
s'adjoindre un certain nombre de personnes versées dans la connaissance du
droit et des coutumes locales.
Une heure après son arrivée, la commission inquisitoriale se
rendit auprès de l'accusé. Elle trouva, dans un sombre cachot, étendu sur de la
paille, un homme de quarante à cinquante ans, vêtu d'un mauvais froc et dont
les traits amaigris, la chevelure inculte, la barbe longue, les yeux égarés
avaient quelque chose d'effrayant.
A l'approche des visiteurs, il se leva sur son séant, et
leur dit, à leur grande stupéfaction :
- Votre voiture s'est brisée en route, n'est-ce pas,
messeigneurs ? mais vous ne devez point
me soupçonner... le démon qui l'a fait m'est étranger, car je n'ai rien ordonné
de semblable au mien, et il est trop bien appris pour avoir agi sans mes
ordres. ,
Le lendemain, au point du jour, l'interrogatoire commença.
La substance de ce document nous est restée. Elle se trouve dans les Gesta pontificum Leodiensium de
Chapeauville, sous les yeux duquel se déroulèrent toutes les péripéties de ce
procès, où le fantastique le dispute à l'horrible réalité.
II
Jean Delvaux raconta qu'il était né à Brâ, village des
Ardennes, et qu'à l'âge de quinze ans, pendant qu'il gardait, dans la bruyère,
les troupeaux de ses parents, un vieillard, vêtu d'une longue robe, lui apparut
et lui offrit honneurs et richesses en échange d'une obéissance entière à ses
volontés, — ce que le jeune pâtre ayant accepté, il vit le vieillard, pour lui
prouver sa puissance, se métamorphoser en plusieurs êtres effrayants et lui
imprimer, à l'aide de ses griffes, deux stigmates sur les épaules. Quelques
jours après, il plaça son élève à Trêves, où il lui fit faire des études
complètes, après quoi il l'initia aux secrets de la sorcellerie, l'introduisit
dans des assemblées de sorciers , et, enfin, lui ordonna d'entrer à l'abbaye de
Stavelot et de prendre les ordres sacrés. Devenu, en 1593, suspect à son
prieur, qui le considérait comme ayant causé la mort de plusieurs de ses
confrères, Delvaux avait été mis au cachot, d'où il n'était pas sorti depuis
lors, et où il avait été nourri au pain et à l'eau.
Interrogé ensuite sur les assemblées dont il venait de
parler, il déclara qu'il existait dans le pays huit sociétés de sorciers :
celles de Stavelot, d'Houffalize, de Cherain, de Salm, de Lavaux, de Tagnez, de
Malmedy et de Trêves. Il indiqua les lieux et les jours où l'on se réunissait,
dit combien de tables on dressait dans chaque endroit, quelles personnes s'y
trouvaient et quelles cérémonies s'y accomplissaient.
D'abord, avait lieu la cérémonie de l'adoration envers
Belzébuth, démon de première classe : elle consistait à se mettre à genoux
devant lui et à baiser la terre qu'il avait foulée. Puis on prenait place au
banquet après avoir prononcé ces paroles: « Au nom de Belzébuth, notre
grand-maître souverain, commandeur et seigneur, que nos viandes, ce boire et ce
manger soient garnis et servis pour nos réfection, plaisir et volupté ! Chacun répondait : « Ainsi soit-il! « Le
repas fini, les assistants remerciaient le maître en ces termes : « De notre
réfection salutaire prise et reçue, que notre commandeur, seigneur et maître
Belzébuth soit loué, gracié et remercié à son exaltation et au commun bien. »
L'assistance répondait encore : « Ainsi soit-il! » Les danses et les chansons
commençaient alors. Les premières étaient entremêlées de toutes sortes
d'obscénités et interrompues à certains intervalles par l'obligation où était
chaque danseur d'aller donner un baiser a Belzébuth, qui se trouvait au milieu
du cercle sous la forme d'un bouc. Parmi les chansons, la principale était celle
qui avait pour refrain ces paroles : « A Bois Burnet, attendez-nous. » La
séparation avait lieu au premier chant du coq, ou au premier son des cloches,
mais auparavant le démon avait soin de faire à chaque associé une distribution
de divers poisons destinés aux hommes, aux bestiaux et aux fruits de la terre.
Quant aux personnes qui assistaient à ces conventicules,
Delvaux en dénonça plus de cinq cents, tant laïques qu'ecclésiastiques, parmi
lesquelles se trouvaient François Monthouet, le voiturier de Francorchamps,
Pierre Kemerling, mayeur de Stavelot, Jean de Formille, curé de cette ville;
l'ancien prieur du monastère lui-même, et cinq moines, lesquels, interrogés a
leur tour, déclarèrent qu'en effet, ils croyaient que Jean Delvaux les avait
ensorcelés au moyen d'un venin jeté dans divers endroits du bâtiment. Il cita
aussi, comme ayant été vu jadis par lui, a l’assemblée de Trèves, le docteur
Vlatten, conseiller de l'archevêque-électeur, brûlé sept ans auparavant pour
fait de sorcellerie, et comme ayant eu pour partenaire dans cette assemblée une
jeune et belle poissonnière des bords de la Moselle, qui l'avait régalé souvent
d'excellents poissons.
Quelques jours après, la commission inquisitoriale se rendit
de nouveau près de l'accusé, et on lui donna lecture de ses déclarations, en
ayant soin de renverser les faits ou d'en omettre, de placer ailleurs des
personnes qu'il avait désignées comme occupant telle ou telle table; l'accusé
alors protestait contre ces inexactitudes, et rétablissait les choses comme il
les avait exposées d'abord. « A plusieurs reprises, écrit Chapeauville, - dont
nous suivons l'exposé point par point, - Oranus et moi, par esprit de charité
chrétienne, nous avons été en particulier trouver Jean Delvaux dans sa cellule,
et l'avons examiné sur beaucoup de choses, et il n'a cessé de nous démontrer
que ses confessions n’étaient nullement l'effet d'une imagination troublée par
les artifices du diable, mais que le tout s'était passé réellement,
hypostatiquement et personnellement, comme il l'assurait. Enfin, nous l'avons
trouvé toujours tellement d'accord avec lui - même et constant dans ses
narrations qu'il ôtait à chacun de nous tout soupçon qu'il pût être un insensé.
»
La commission ayant fait son rapport, Ernest de Bavière
ordonna de procéder judiciairement à l'examen de l'affaire et l’arrestation
d'un grand nombre de personnes dénoncées par Jean Del vaux, aussi bien les
seigneurs de villages, les échevins et curés que les vieilles femmes et les
gens du vulgaire.
Un décret fut ensuite promulgué, déclarant qu'avant de
prendre une décision sur la cause, il y avait lieu d'appliquer Jean Delvaux à
la question. Ce décret ayant ému beaucoup de personnes, qui ne craignaient pas
de dire hautement, au risque de se rendre elles-mêmes suspectes de sorcellerie,
que le moine Delvaux n'était autre chose qu'un aliéné, la commission résolut de
faire convoquer un grand nombre d'hommes marquants pour les rendre témoins des
déclarations de l'accusé, qui, devant eux, répéta ses premiers aveux et réfuta
même diverses objections qui lui furent faites par l'assistance. Ainsi, comme
on lui parla de lettres qu'il avait écrites à trois personnes, les capitaines
de la Bouillotte et de Greinbiéville et le seigneur de St-Vith, lettres où il
les qualifiait de neveux, en leur offrant de faire périr par son art tous les
ennemis de Philippe II, roi d'Espagne, il répondit que s'il avait simulé la
folie dans ces pièces, c'était un calcul de sa part, afin d'obtenir sa mise en
liberté. Confronté avec Jean Formille, qui niait avec indignation tout fait de
sorcellerie, il expliqua comment les sorciers prêtaient, chaque année, serment
de ne rien révéler, serment que le curé de Stavelot, ajoutait-il, avait
renouvelé naguère à l'assemblée de Stavelot.
Il fut mis ensuite à la torture, et il persista dans tous
ses aveux, dans toutes ses dénonciations, prenant Dieu à témoin de la vérité de
ses paroles: « Après qu'où l'eut détaché du chevalet, dit Chapeauville, on
trouva qu'il n'avait pas les membres mutilés; mais ayant mis à nu ses épaules,
nous avons examiné, de nos propres yeux, les deux stigmates qui y avaient été
imprimés, et nous y avons enfoncé une épingle sans que le patient éprouvât
aucune douleur. »
Enfin, le 2 avril 1597, après une instruction qui avait duré
plus d'un an, sortit la sentence suivante, émanée de Jean Chapeau ville, en sa
qualité de juge commissaire:
« Puisque vous, Jean Delvaux, prêtre et religieux de
Stavelot, avez été convaincu non-seulement par une foule d'indices, de
dépositions, de témoins et par la clameur publique, mais encore de votre propre
aveu plusieurs fois répété, d'avoir renié la foi et la religion que vous aviez
professées devant le Saint-Sacrement au baptême, non-seulement de bouche, mais
encore de pompe et d'esprit, de vous être dévoué au démon, ennemi du genre
humain, et de l'avoir adoré fréquemment dans les assemblées nocturnes des
sorciers, comme aussi d'avoir fait alliance et pacte avec lui pour opérer des
maléfices, pour obtenir des honneurs, des voluptés, des richesses et les autres
biens temporels du siècle présent; d'être marqué de ses stigmates sur vos deux
épaules, en confirmation du pacte et de l'alliance susdits; et enfin, d'avoir
causé la mort à plusieurs religieux du monastère de Stavelot, et à d'autres
personnes laïques (suivent les noms), au moyen de poison à vous fourni par le
démon; ainsi que d'avoir perpétré d'autres crimes abominables avec les démons
succubes et aussi avec plusieurs femmes mariées et non mariées, crimes pour
lesquels nous vous privons de tout office et grade, et décrétons que vous devez
être livré au bras séculier, suivant le dispositif des sacrés canons, priant
néanmoins les juges et ministres de la justice séculière, que pour autant que
le droit le permette, ils veuillent et daignent s'abstenir de l'effusion du sang.
» Jean Delvaux, l'acte de la dégradation religieuse accompli, fut, en effet,
livré à la justice civile, dans la personne de Pierre Oranus et de Jean
Malempeter, qui , après s'être adjoint plusieurs notables de la principauté de
Stavelot, condamnèrent le coupable à la peine de mort; toutefois, prenant en
considération ses aveux, son repentir et la détention de près de cinq ans qu'il
avait subie, ils décidèrent qu'il ne serait pas brûlé vif, contrairement à
l'usage établi pour les sorciers, mais qu'il serait pendu, et que son corps
recevrait la sainte sépulture dans le cimetière de l'abbaye.
Trois jours après, une potence était dressée dans la prairie
faisant face au monastère, sur la rive opposée de l'Amblève. Une foule immense
était là réunie, à la fois curieuse et pleine d'anxiété, car, malgré la
croyance où l'on était alors que le sorcier qui était aux mains de la justice
et avait révélé le secret du sabbat ne pouvait plus compter sur aucun secours
surnaturel, la plupart des spectateurs, paysans des villages voisins,
s'attendaient à voir, au moment suprême, le démon jouer quelque tour de sa
façon aux juges et au bourreau, et délivrer le patient. Celui-ci parut, se
traînant à peine, s'agenouilla, se recueillit quelques moments, puis demanda,
comme dernière faveur, que la distribution d'aliments qu'on était dans
l'habitude de faire aux pauvres à la mort de chaque religieux, se fît aussi à
son intention, pour que ceux qui en seraient l'objet se souvinssent de lui dans
leurs prières. On lui promit d'accomplir ce dernier vœu, et le moine-sorcier
fut lancé dans l'éternité, —laissant un des exemples les plus frappants de cet
état d'extase et d'hallucination épidémique par lequel la science moderne
explique ces aveux inouïs, dont notre récit offre un échantillon authentique,
et qui venaient si fatalement en aide aux préjugés du temps pour faire des
victimes.
De tous ceux que Jean Delvaux avait dénoncés comme étant ses complices, un seul périt avec lui sur le gibet : ce fut François Monthouet; mais, d'après le sentiment public, ce qui décida principalement de son sort, ce fut l'affaire de l'âne des frères quêteurs, et celle du centième patagon.