LEGENDES La danse des chats à Louvain


"Les sorcières", gravure de Hans Baldung, dit Grien

LA DANSE DES CHATS

(Louvain )


Marie de Ploennies

1848


La nuit on n'était pas en sûreté au marché de Louvain. Vers minuit on entendait une grande rumeur dans l'air, des chats arrivaient de toutes parts, et se réunissaient pour danser, chanter et boire. Ce sabbat durait une heure, et quelquefois même il se prolongeait jusqu'à l'aurore. Alors les chats se dispersaient et tous disparaissaient dans les airs.
Un habitant de la ville s'étant oublié au cabaret, assez tard dans la nuit, voulut traverser le marché pour retourner chez lui; la place était encombrée de chats qui se tenaient par les pattes de devant et dansaient autour d'un vaste buffet tout couvert de verres et de bouteilles de vin. Après la danse, tous ces animaux sautaient sur les tables, prenaient les verres et buvaient, puis retournaient à leur place. A ce spectacle, le malheureux Louvaniste se crut perdu, il essaya de prendre la fuite, car il aurait voulu être à cent lieues de là. Mais il était trop tard; dans ce moment, il fut entouré de toute la bande, et un petit chat tenant un verre plein, s'avança vers lui et le lui présenta en disant: „Tiens, bois un petit coup avec nous! . . Allons, bois."
Je vous laisse à penser dans quelle angoisse se trouva le pauvre homme. Une sueur froide lui couvrait le visage, à peine eut-il assez de force pour répondre: Non, je ne veux, je ne puis, je ne saurais boire!"
Les chats sans avoir égard à ce refus, firent comme s'ils n'eussent pas compris, ils s'approchèrent de plus en plus de lui et le petit lui criait toujours: „Tiens, bois on petit coup avec nous! . . . Allons, bois."
Le malheureux ne savait plus où il en était. Il leva la jambe le plus haut qu'il put, et tâcha de marcher sur la pointe des pieds, car il craignait de faire mal à quelqu'un de la bande; mais il avançait avec tant de peine, que bientôt le désespoir s'empara de lui. Une démangeaison le fit éternuer, ce fut son bonheur, car dans ce cas il avait l'habitude de dire, Dieu vous bénisse. A peine eut-il prononcé ces mots, que toute cette bande infernale disparut en poussant d'horribles hurlements.
On raconte beaucoup de choses semblables des chats. Aux environs de chaque. village il y avait un endroit où les sorcières se réunissaient sous la forme de ces animaux, pour tenir sabbat. Le lendemain on voyait dans le gazon un grand cercle d'herbe brûlée. Souvent ils se hasardaient à s'introduire dans les maisons, mais ils en sortaient rarement la peau intacte.
De semblables scènes avaient lieu dans un vieux château des Flandres, de sorte que personne n'osait y rester et qu'il demeura longtemps vide. Un vieux soldat passa un jour par ce village, il avait flairé la poudre et ne craignait ni le diable ni l'enfer. Il éclata de rire, quand on lui raconta les histoires de ce château abandonné.
„Si personne n'ose y rester, dit-il, moi je m'y rendrai et je verrai, si je puis venir à bout de cette race de démons."
Les paysans lui conseillèrent de ne pas faire le fanfaron , lui disant qn' il n'était pas sûr d'en revenir sain et sauf.
Mais le propriétaire du château lui dit:
„Essaie mon ami, et si tu mets un terme à ces enchantements, je te promets une bonne récompense." »Cela me va, dit le soldat, et pour vous prouver que je ne suis pas exigeant, je ne désire pour mon souper que du beurre, des oeufs, de la farine, du lait, un peu de bois pour faire du feu et une poêle, car j'ai l'envie de me faire des crêpes."
„Tu auras tout cela" dit le Seigneur, et il ordonne aussitôt de transporter toutes ces choses au château, et le soldat y entra.
D’abord j'ai besoin de repos, se dit-il, en se mettant au lit. Après avoir dormi une assez grande partie de la nuit, il s'éveilla; son estomac l'avertit qu'il était temps de se lever. Il fit du feu dans l'âtre et prépara la pâte pour ses crêpes. A peine avait-il commencé, qu'un chat sauta dans la place, s'approcha du feu et dit: „Est-ce que je puis me chauffer." — „Certes, pourquoi pas?" répondit le vieillard qui continua à remuer la pâte, ne perdant pourtant pas le chat de vue. — „Que remues-tu donc là?" lui dit celui-ci un moment après.
„La pâte pour faire des crêpes" répondit brusquement le soldat:
Quelques minutes après, un second chat sauta dans la chambre, puis un troisième, un quatrième et ainsi de suite jusqu'à sept, et chacun d'eux demandait au soldat ce qu'il faisait. Celui - ci répondait toujours très - laconiquement.
Tous ces chats se tenant par les pattes se mirent alors à danser autour d'un huitième qui venait d'entrer. Ils poussaient des miaulements à fendre la tête. Le soldat n'y tint plus, il jeta un gros morceau de beurre dans la poêle, le fit fondre, et le versa tout brûlant sur le dos de ses hôtes. Au même instant tous les chats avaient disparu; le soldat continua à cuire ses crêpes, puis se mit au lit et dormit tranquillement jusqu'au matin. Comme il tardait à revenir an village, tout le monde le crut mort. Chacun était déjà à le plaindre, lorsqu'on le vit sortir du château et se diriger vers le village. Tous coururent gaiement à sa rencontre. Toutes les femmes se trouvaient là à l'exception d'une seule, la femme du cordonnier, la plus curieuse de toutes. Lorsque le soldat eut raconté son aventure et qu'il eut reçu sa récompense, toutes lés femmes coururent chez la cordonnière pour lui raconter cette singulière histoire; mais la pauvre femme était couchée» elle avait tout le corps brûlé et des morceaux de beurre pendaient encore à ses cheveux. Un mensonge eût été inutile, l'affaire était trop claire, aussi avoua-t-elle que tous les soirs elle se rendait au château avec sept autres femmes des environs pour y exercer des sortilèges. Naturellement personne ne voulut plus avoir rien de commun avec une telle femme et sa réputation fut perdue à tout jamais.


AFFICHES "ART NOUVEAU" DE HENRI PRIVAT-LIVEMONT

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